La bande dessinée camerounaise, la petite histoire...
Voici l'ébauche d'un article qui avait été commandé au Collectif A3 par le magazine Takam-Tikoum. Il retrace le chemin parcourue par la bande dessinée au mboa depuis les pionniers jusqu'aux acteurs actuels. L'original a été publié là link. Bonne lecture...
"Souvent considérée comme un genre mineur, la bande dessinée essaye tant bien que mal de trouver son public au Cameroun. La plupart des publications de bandes dessinées sont l’initiative d’ONG et associations qui s’en servent comme moyen de communication et de sensibilisation sur des sujets tels que le VIH/SIDA, le paludisme ou le leadership jeune. Ce qui permet aux auteurs de murir leur style graphique mais ne contribue pas à un réel développement du secteur. Les maisons d’édition hésitent à se lancer dans l’aventure, car le risque financier est plus grand. Pourtant des initiatives parfois isolées tentent de faire vivre le milieu principalement à Douala et à Yaoundé.
Séance de dédicace du magazine Bitchakala. Charles KAMDEM
Les premiers balbutiements du « 9 ème art » au Mboa
Les premières bandes dessinées publiées au Cameroun furent des strips et des planches entières publiées dans des journaux notamment « Cameroun Tribune », le quotidien national et « la gazette ». Où des dessinateurs de presse tels que Tita’a et Kiti exercent avec ferveur leur talent de dessinateur de presse, de temps en temps publient une planche de bd. Kiti alors dessinateur principal de « La gazette » crée en 1974 un célèbre personnage « Sam Monfong », un policier invincible dont plusieurs épisodes paraissent. En véritable précurseur, il créa le CABDA (centre africain de la bande dessinée et du dessin animé) qui sans soutien malheureusement disparu.
Jusqu’en 1990, la bande dessinée reste très liée au dessin de presse et à la caricature. Le seul album publié jusqu’ici est « la longue histoire du football camerounais » de…dont la première édition remonte à…chez… Avec le vent de l’Est des années 90 et le courant de démocratie qui s’en suit, l’espace médiatique se libéralise au Cameroun. Les presses privées se multiplient, la critique du régime politique se durcit, et les dessinateurs de presse sont là pour le traduire. Le « Messager Popoli » s’impose en figure de proue du genre, Nyemb Popoli le dessinateur qui fonde le journal a un coup de crayon féroce. Il raconte par des planches, des strips et des coups de gueule les dérives du pouvoir en place. Imprimé sur papier journal de moyenne qualité et vendu dans les kiosques, le messager Popoli devient très vite populaire.
Extrait d’une planche du journal Caricaturas. Bibi Benzo
En 1998 a lieu la première édition du FESCARY (festival de la caricature de Yaoundé). Organisé par une association de journalistes, le festival célèbre la caricature et le dessin de presse au Cameroun, à ce titre des caricaturistes de renommée internationale sont invités, des ateliers sont organisés quelques uns portent sur la bande dessinée. La même année, Emmanuel Lepage (auteur de Muchacho T1 et T2, Névé chez Dupuis) est invité par le centre culturel français de Douala pour animer un atelier avec de jeunes dessinateurs camerounais. Ces initiatives bien que éparses contribueront au développement de la bande dessinée au Cameroun.
Les années 2000 et l’éclosion
A partir des années 2000, la bande dessinée en Afrique de façon générale connait une fulgurante éclosion, le Cameroun ne fait pas exception. Des initiatives tentent ici et là de faire connaitre les talents. Les éditions Akoma Mba, spécialisées dans la littérature de jeunesse, lance en 2003 le magazine « Essingan » dont le numéro 1 parait en octobre 2003. Avec la faillite de la maison d’édition, le magazine cesse malheureusement de paraitre au bout de quatre numéros, mais révèle au public le trait des dessinateurs tels que Christian BENGONO qui y raconte une histoire de sorcellerie dans un style réaliste, Nouther (Hervé NOUTCHAYA) quand à lui raconte la vie citadine de jeunes basketteurs. Toujours en 2003, la maison d’édition Akoma Mba publie « Shégué ». Un album collectif de 54 pages, qui réunit neuf histoires de neuf auteurs africains, réalisé durant un atelier de deux semaines à l’occasion du FESCARY 2003. Les styles sont assez variés, de l’humour féroce au réalisme poussé, certaines histoires sont en couleur, une autre première. On y retrouve les camerounais Christian BENGONO, Hervé NOUTCHAYA, ALMO, JAIMES, Simon MBUMBO, Christophe EDIMO. Ces initiatives permettent aux auteurs de comprendre qu’il leur ait possible de vivre de leur travail, mais aussi qu’ils doivent se regrouper pour mieux défendre leur profession et leurs droits.
Extrait de « Zam zam, le tiersmondiste ». Almo
C’est ainsi qu’à l’occasion du « mois de la bande dessinée » initié par le centre culturel français de Douala en juin 2005, nait « Trait Noir ». Une association qui réunit des illustrateurs et dessinateurs résidant à Douala principalement. L’ambition est grande : assurer une formation adéquate aux jeunes désirant faire carrière, mais également des perspectives de développement pour le secteur
afin que les talents et potentialités qui existent au Cameroun puissent enfin donner à la BD camerounaise ses lettres de noblesse. Durant l’été 2006, le célèbre magazine Spirou fait le tour du monde en six étapes, à chaque étape des dessinateurs du pays sont publiés. Autour de Eric Warnauts, Raives et Bruno qui avaient animé un atelier durant le mois de la BD en 2005 à Douala ; six auteurs camerounais sont publiés : Almo, Kangol, King Val, Bibi BENZO, Piazo et Elyons ( Joelle Ebongue ), tous membres de Trait Noir. En 2006 toujours, l’association autoédite l’album collectif « Trait noir » et le magazine « Kmer comics », qui en plus des auteurs cités plus haut, révèlent d’autres talents. Malheureusement, des querelles internes et des guerres de leadership disloquent peu à peu Trait Noir, ses activités en prennent un sérieux coup.
Avec les activités de Trait Noir, Douala a été le premier véritable pôle de la bande dessinée au Cameroun, à partir de 2007, Yaoundé prendra la relève. Les auteurs de la foulée Essingan (Christian Bengono, Hervé Noutchaya) essayent de faire bouger les choses. Ils réunissent les dessinateurs et travaillent sur des projets collectifs. Le Collectif A3 nait officiellement en 2009 et regroupe des illustrateurs, des auteurs de bd et des graphistes avec pour vision de structurer et professionnaliser le milieu de la bande dessinée au Cameroun.
Bitchakala, le magazine de la BD Camer
En camfranglè (langue issue d’un mélange de langues camerounaises, du français et de l’anglais), Bitchakala veut dire gribouillis, un gribouillis en général fait par des enfants. De ce terme péjoratif, les auteurs décident d’en faire un véritable magazine modèle de bande dessinée, qui raconte les histoires camerounaises en des mots et des formules propres au Cameroun. Le premier numéro du magazine parait en avril 2010, tiré à 2 000 exemplaires et vendu à 300 Fcfa (450 centimes d’euros), Bitchakala est vendu à la criée dans les rues et dans les kiosques : le succès est immédiat ! Malgré le temps de parution long (deux fois par trimestre), la qualité d’impression les camerounais adhèrent au concept. Ce succès peut s’expliquer par le format peu coûteux du magazine (A5, couverture souple en quadrichromie et intérieur noir et blanc), le fait que son prix le rend accessible au camerounais moyen. De plus, les styles graphiques sont nouveaux, jusqu’ici le public a été habitué à de la caricature. Le type d’histoires racontées, peut aussi expliquer ce succès. En effet les camerounais se reconnaissent dans les expressions, le camfranglè est très fréquent dans Bitchakala.
Extrait de « Malik, ma cité » paru dans Bitchakala 2. EDJI
Même si Bitchakala permet aux auteurs de publier, par conséquent d’exister, le magazine ne fait pas de grandes rentrées. Le Collectif A3 a donc un travail de fond avec les éditeurs camerounais à faire, afin d’éditer localement des albums d’auteurs camerounais et de créer un réel marché et des habitudes de consommation. Ifrikiya a été la maison d’édition la plus réceptive à l’idée, plusieurs albums sont en préparation pour 2011. D’ores et déjà, Ifrikiya s’est lancé dans la bande dessinée en rééditant « Malamine, un africain à Paris » des camerounais Simon Pierre MBUMBO et NGALLE EDIMO. Edité par Enfants rouges en France, cet album a été repris par Ifrikiya en petit format avec couverture souple. Ainsi, il coûte 3000 Fcfa (environ 5 euros) au Cameroun. Cette initiative de Simon Pierre MBUMBO, camerounais vivant en France de retourner se faire éditer au pays est la première du genre. La sortie officielle de « Malamine, un africain à Paris » a eu lieu le 27 novembre 2010 à l’occasion de la première édition du MBOA BD Festival, le festival de la bande dessinée camerounaise tenu à Yaoundé.
Organisé par le Collectif A3, cet évènement visait à réunir les auteurs camerounais, les éditeurs afin qu’une réelle réflexion soit faite sur la profession. Ce fut aussi l’occasion pour le public de découvrir toute la production camerounaise de bande dessinée et de rencontrer ces auteurs qui font vivre le mouvement qu’ils soient de Yaoundé, Douala, Dschang ou Buea.
Au-delà de toutes ces activités, les auteurs camerounais ambitionnent de mettre sur pied un centre de la bande dessinée à Yaoundé qui abriterait une bibliothèque spécialisée en bd, un espace de création et une salle d’exposition. La profession aurait ainsi un intermédiaire qui pourra donner plus de visibilité à tout ce qui se fait par ci par là, un interlocuteur qui pourra discuter avec les éditeurs et les autorités pour un développement véritable de la bande dessinée, et un espace qui leur est dédié ! La première phase du projet est lancée, en collaboration avec l’association française Kalati (http://associationkalati.hautetfort.com/) et le CLAC (centre de lecture et d’animation culturelle de Mimboman). Un fond de 1 000 bandes dessinées a été crée au CLAC à Mimboman en novembre 2010, en attendant que le centre de la bd puisse avoir ses propres locaux. En 2011 sont prévues des séances d’initiation, d’éveil à la bande dessinée et des projections de documentaires sur la bande dessinée au CLAC afin de créer de l’activité autour du fond et faire vivre le milieu.
Inauguration du fond de bd du Collectif A3 au CLAC. Charles Kamdem
Toutes ces initiatives et projets qui font l’histoire de la bd au Cameroun, participent d'une volonté des auteurs de faire exister leur profession. Cette envie, ce désir vont crescendo, poussés par la conviction qu’il est possible de dessiner et d’en vivre au Cameroun comme partout ailleurs. Pour un pays qui regorge d’énormes talents graphiques, il est temps que la bande dessinée occupe enfin la place qui est la sienne.
DEUBOU SIKOUE
Auteur de bande dessinée et graphiste
Liens :
http://www.ccfdouala.com/bd/traitnoir.htm
http://leblogducfi.over-blog.com/article-1er-festival-de-la-bd-au-cameroun-62047248.html
http://www.takamtikou.fr/bibliographies/notices/bitchakala
http://associationkalati.hautetfort.com/archive/2010/12/14/une-bibliotheque-bd-a-yaounde.html
Blog d’auteurs de bd camerounais :
http://almoactu.canalblog.com/
http://yandeubou.over-blog.com/
http://bibibenzo.over-blog.com/ "
Peace and love,
YDS.